Placements abusifs d’enfants et Troubles bipolaires
octobre 20, 2021
Chaque année en France, sur décision judiciaire, plusieurs dizaines de milliers d’enfants sont arrachés brutalement de leur milieu familial, parfois par la force publique, dans des conditions inhumaines, pour être confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance, souvent de manière définitive.
Dans certains cas même, aucune audience préalable et contradictoire n’a eu lieu, aucun avocat n’a pu faire entendre vos droits, et l’enfant est soustrait unilatéralement à ses parents, à sa sortie d’école, dans le cadre d’une « information préoccupante », d’un signalement.
Ils sont placés en foyer ou en famille d’accueil. Les parents sont désarmés, perdus, et rentrent dans une spirale infernale faite de sidération puis de dépression, leur vie devient un cauchemar, car se voir priver de son enfant est la chose la plus terrible qui puisse arriver à n’importe qui dans la vie. Et cela n’arrive pas qu’aux autres…
Alors « L’enfance en danger »…cette expression seulement évoquée, et des images des films de Truffaut, des 400 coups, d’Antoine Doisnel, de Jean-Pierre Léaud, nous reviennent en mémoire et nous hantent.
Et celles aussi d’Arthur RIMBAUD, Prince des poètes, et de son cri, lorsqu’il arrête définitivement la poésie: « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »…
Durant mon exercice professionnel, j’ai souvent rencontré ces parents, cette mère, ce père, littéralement dévastés par ce cauchemar, la privation d’un – ou parfois même de tous – ses enfants, sans possibilité de les voir, ou alors dans des « espaces médiatisés » (quel euphémisme!), seulement une heure par semaine, parfois une heure par mois…devant une tierce personne, un cerbère, qui surveille tout ce que vous faites.
Le problème se pose avec acuité en cas de trouble mental d’un des parents, comme par exemple un trouble bipolaire. C’est même l’un des problèmes les plus aigus qui puisse se poser à des magistrats rencontrant ce type de dossiers. Le parent en question, accaparé par son trouble, n’arrive plus à faire face à ses obligations vis à vis de son enfant. La maladie mentale fait peur, elle fait honte. Et pourtant, la maladie mentale se soigne, comme toutes les autres maladies.
Tout le travail de l’avocat, dans ce contexte, est d’abord de sensibiliser le magistrat et de lui offrir des solutions alternatives, provisoires, surtout de ne pas couper les ponts avec lui en remettant en cause systématiquement tout le travail de l’ASE, car cette posture est idéalement contre-productive. Il sera aussi d’expliquer à son client, souvent dans le déni de son trouble, qu’il doit se prendre en charge et se soigner, que des traitements efficaces existent, que de très bons psychiatres existent et que s’il prend régulièrement son traitement, il peut être stabilisé et multiplier ainsi les chances de revoir son enfant, car alors, plus rien ne s’oppose à son retour à la maison, le placement ne servant plus à rien.
L’Avocat est le lien privilégié pour les conseiller, leur redonner espoir et énergie, et les aider à avancer les bons arguments pour éviter que cette situation se pérennise et pour récupérer autant que possible leurs enfants, en utilisant tous les moyens de procédure à cet effet et en défendant leurs droits.
Tous ces placements ne sont pas abusifs, loin de là.
Les textes fixent les limites: « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises« .
Rarement un texte n’aura été aussi général et imprécis dans sa définition…et donc soumis à un grand aléa en ce qui concerne son interprétation par les juridictions.
Ces dernières sont constituées d’ailleurs d’une seule entité, le juge des enfants, qui est seul, et qui a seul l’immense pouvoir de décider du sort d’un enfant, et qui, dans la solitude de son Cabinet, doit faire face à ce dilemme atroce : faut-il ou non séparer l’enfant de sa fratrie ?
Et ces procédures durent souvent plusieurs années, car la mesure de placement peut être reconduite plusieurs fois. Certains parents ne voient plus du tout leurs enfants, les services sociaux tablant sur l’oubli, car « le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants » (Renaud).
Cette position est tellement intenable que le gouvernement souhaite faire dans l’avenir appel à deux juges lorsqu’une décision difficile ou déterminante pour la vie de l’enfant devra être prise, afin de garantir sa collégialité, sa pertinence et sa conformité avec les besoins de l’enfant.
« La Garde des sceaux prévoit une mesure forte pour renforcer les garanties procédurales devant le juge des enfants : l’introduction de la collégialité pour les décisions complexes« , précise Adrien Taquet, Secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles.
En France, malgré 8 milliards d’euros consacrés au secteur de la protection de l’enfance (c’est le second poste de budget après celui de l’Education Nationale), la situation est explosive. Sur l’ensemble du territoire, environ 341 000 mineurs sont pris en charge, la moitié environ étant placés en dehors du milieu de vie d’origine, en établissements ou en familles d’accueil.
La dépense annuelle de placement par enfant est de 36 500 euros en moyenne. Mais elle varie de 19 600 à 64500 euros, « soit du simple au triple ». Cette variabilité peut s’expliquer « par le poids variable du recours aux différents modes d’hébergement » et par leurs écarts de coût.
Cette frénésie dans les placements d’enfants ne serait-elle pas le dernier avatar d’une société malade, le résultat induit de ce fameux « principe de précaution », que l’on met maintenant à toutes les sauces, dans notre monde aseptisé et algorithmique, pour se blinder, s’exonérer de toute responsabilité, et pouvoir dormir ainsi sur ses 2 oreilles, sans se préoccuper des dommages collatéraux qu’on laisse derrière soi ?
Sachez toutefois que vous avez des recours, que ces recours sont nombreux, qu’il ne faut jamais renoncer à se battre, ne jamais perdre espoir, car ce serait la pire des solutions pour votre survie. Pensez à consulter, vous n’êtes pas seuls.