Non-communication du dossier dans le contentieux de la protection de l’enfance
mai 28, 2019
Le lancinant problème de la non-communication du dossier dans le contentieux de la protection de l’enfance
Si il existe une injustice flagrante dans la pratique actuelle des Tribunaux, c’est bien dans ce domaine. Les parents, qui ont affaire aux services de l’Aide Sociale de l’Enfance devant le Tribunal pour Enfants, font face quotidiennement à ce problème récurrent.
Ce Tribunal, rappelons-le, est chargé de la protection des enfants. Il peut ordonner un placement dans une famille d’accueil et organiser les visites auprès des parents.
Dans notre pratique judiciaire française, il existe un principe fondamental: dans notre pays, nul ne peut être convoqué devant un Tribunal, quel qu’il soit, pour y être jugé, sans connaître au préalable ce qu’on lui reproche et sans avoir eu accès à son entier dossier avant l’audience, afin de préparer sa défense de la meilleure façon possible, donc en étant informé précisément des charges qui pèsent contre lui.
Curieusement, le droit de l’enfant (et des parents) fait exception à cette règle. Bien que la France se fasse retoquer très souvent par la CEDH, selon le sacro-saint principe que toute personne a le droit à un procès équitable, bizarrement cette dernière n’a pas encore eu à sévir dans ce déni permanent qui consiste purement et simplement en une violation des principes fondamentaux du Droit !
En effet, c’est l’article 1187 du CPP qui fixe les bases de la communication du dossier. Reprenons-le point par point, car chaque alinéa semble énoncer des droits fondamentaux, mais chaque jour il est bafoué par les tribunaux et transformé en véritable peau de chagrin:
Dès l’avis d’ouverture de la procédure, le dossier peut être consulté au greffe, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience, par l’avocat du mineur et celui de ses parents ou de l’un d’eux, de son tuteur, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié. L’avocat peut se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier pour l’usage exclusif de la procédure d’assistance éducative. Il ne peut transmettre les copies ainsi obtenues ou la reproduction de ces pièces à son client.
Le dossier peut également être consulté, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, par les parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié et par le mineur capable de discernement, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience.
La consultation du dossier le concernant par le mineur capable de discernement ne peut se faire qu’en présence de ses parents ou de l’un d’eux ou de son avocat. En cas de refus des parents et si l’intéressé n’a pas d’avocat, le juge saisit le bâtonnier d’une demande de désignation d’un avocat pour assister le mineur ou autorise le service éducatif chargé de la mesure à l’accompagner pour cette consultation.
Par décision motivée, le juge peut, en l’absence d’avocat, exclure tout ou partie des pièces de la consultation par l’un ou l’autre des parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié ou le mineur lorsque cette consultation ferait courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers. »
Il s’agit ici des principes, édictés par le Législateur, c’est à dire celui qui est élu par le Peuple. La réalité est très différente: dans certains tribunaux, il est quasiment impossible de se procurer avant l’audience même des bribes du dossier…! L’administration emploie tous les moyens les plus inimaginables pour bloquer ou retarder cette communication. Elle ne répond pas par exemple aux demandes écrites des avocats qui sollicitent une lecture du dossier, ou alors les horaires ne sont jamais les bons, ou alors l’audience n’est pas prévue dans les jours qui viennent etc…etc.
Les travailleurs sociaux ont parfois eux aussi des pratiques peu respectueuses du contradictoire en adressant par exemple leurs rapports au juge via télécopie ou mail, sans communication aux avocats, la veille ou même le jour de l’audience qui doit décider du sort des enfants !
Les embûches sont multiples, variante du jeu du chat et de la souris, sauf qu’ici les enfants vont être séparés de leurs parents, parfois définitivement, et les parents ne vont plus avoir que leurs yeux pour pleurer.
Oui, cette audience est fondamentale pour les parents, qui y jouent souvent leur va-tout: on leur reproche de mal élever leurs enfants, mais ils ne connaissent pas les raisons profondes de la procédure menée contre eux.
Cette pratique est-elle vraiment humaine, dans le pays des Libertés ? Comment se défendre dignement lorsqu’on ignore les véritables motifs qui ont déterminé un signalement et une saisine par le Procureur ou l’ASE ?
Car la sanction est redoutable: l’enfant peut être placé en foyer ou dans une famille d’accueil, pendant un an renouvelable, sans espoir parfois pour lui de revoir sa vraie famille…
Devant de tels enjeux, la pratique devrait être beaucoup plus digne et exemplaire: l’ensemble du dossier devrait être communiqué en copie à l’avocat – car consultation ne signifie pas communication – à 1ère demande, et sans attendre la fixation d’une audience.
La France y retrouverait peut être un peu de son éclat et de sa grandeur perdue… On en est loin.