Il est toujours dangereux de mentir en justice
juillet 5, 2013
Les justiciables ne pensent pas assez souvent au recours en révision, prévu par les articles 595 à 603 du Code de procédure civile, et qui offre pourtant des possibilités intéressantes de voir triompher leur point de vue alors qu’ils ont perdu le « 1er round », soit la phase contentieuse proprement dite de leur action judiciaire.
La définition de cette procédure relativement exceptionnelle nous est donnée par l’Article 593 qui stipule :
« Le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit. »
Les causes possibles nous sont données par l’article 595:
« Le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes :
1. S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie ;
3. S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
4. S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée. »
Nous voyons, à la lecture de cet article, que les cas visés sont nombreux dans lesquels la partie perdante peut néanmoins faire valoir ses droits alors que la décision en cause est devenue définitive, qu’elle a parfois fait l’objet d’un commencement d’exécution et que les délais d’appel sont expirés.
Le seul bémol nous est donné par l’article 596 qui fixe un très court délai de deux mois pour exercer ce recours, « qui court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque. »
Dans la très médiatique affaire « Tapie », l’Etat vient par exemple de déposer par ce biais, en catastrophe, un recours pour tenter de faire annuler la
sentence arbitrale ayant accordé, le 7 juillet 2008, soit 5 ans auparavant, la somme de 405 millions d’euros à Bernard Tapie.
Le CDR, qui a accès au dossier en tant que partie civile, est toutefois tenu au secret de l’instruction et n’a pu produire pour alimenter son recours, des pièces issues du dossier pénal. Il a donc utilisé des articles de presse, essentiellement ceux du Monde, où figurent des extraits de procès-verbaux.
Mais c’est surtout dans un contentieux plus prosaïque que l’on retrouve pléthore de décisions en la matière, celle des demandes en modification ou suppression de prestation compensatoire après divorce contentieux.
En effet, le débiteur de cette prestation cherche dans la plupart des cas à minorer ses revenus ou ressources afin de faire fixer au plus bas par le JAF le quantum de son obligation de paiement.
Pourtant, l’Article 272 du Code Civil prévoit un pare-feu:
« Dans le cadre de la fixation d’une prestation compensatoire, par le juge ou par les parties, ou à l’occasion d’une demande de révision, les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l’honneur l’exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie. »
Une intéressante décision de la Cour de Cassation (Chambre civile 212 juin 2008 – 07-15.962) a apporté une pierre à l’édifice en précisant la situation suivante :
« Attendu que, pour déclarer irrecevable le recours en révision, l’arrêt retient que Mme Y…, dans sa déclaration sur l’honneur établie en application de l’article 271 du code civil, a sciemment omis d’indiquer qu’elle était propriétaire d’un studio pour lequel elle remboursait un emprunt, mais que ce
mensonge regrettable ne revêt pas le caractère frauduleux exigé par l’article 595 du code de procédure civile , dans la mesure où il n’a pas été décisif au regard de la motivation de son arrêt précédent ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le patrimoine est un élément d’appréciation expressément prévu par la loi dont le juge doit tenir compte pour fixer la prestation compensatoire, de telle sorte que la dissimulation par l’épouse de l’existence d’un patrimoine immobilier lui appartenant était nécessairement déterminante dans la fixation de la prestation compensatoire, la cour d’appel a violé les textes précités ; »
Plus récente, une autre décision de la Cour de Cassation, rendue le 21 février 2013 (2ème Ch Civ – N° de pourvoi: 12-14440) est également très instructive à ce sujet :
« Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré irrecevable le recours en révision de Mme Y… contre l’arrêt qui l’avait déboutée de sa demande de prestation compensatoire au vu des conclusions et de l’attestation sur l’honneur de son mari qui avait déclaré qu’il avait pour toutes ressources le revenu minimum d’insertion de 318 euros par mois quand il percevait un salaire mensuel de 7 000 euros d’une société NFM Technologie.
Aux motifs que la Cour, dans son précédent arrêt, s’était prononcée en toute connaissance de cause, même si M. X… avait menti sur le montant de ses revenus salariaux ; que ce seul mensonge ne suffisait pas à caractériser la fraude exigée par l’article 595 du code de procédure civile dès lors qu’il n’était pas accompagné de manœuvres destinées à le corroborer ;
Alors que le recours en révision est ouvert s’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; que la dissimulation par M. X…, dans ses conclusions d’appel du 4 juin 2007 comme dans la déclaration sur l’honneur établie en application de l’article 271 du code civil du salaire mensuel de 7 000 euros qu’il percevait depuis 2006, constitue une fraude (violation de l’article 595 alinéa 1er du code civil). »
Nous retrouvons très fréquemment dans nos dossiers de divorce des « omissions » de ce type, où le jugement des magistrats est faussé par la mauvaise foi de l’une des parties, qui ne communique pas, ou cache, des éléments qui permettraient de se faire une plus juste appréciation de l’importance de son patrimoine.
Ainsi maintenant, en raison de cette jurisprudence, les parties débitrices de prestation compensatoire pourront apporter un peu plus d’équité dans les prétoires en faisant éliminer par ce biais les prétentions excessives de leur ex-conjoints.
Rappelons aussi que seuls les changements importants, survenus dans les ressources ou les besoins des parties depuis la dernière décision, pouvaient justifier une nouvelle demande (et non plus un recours en révision) sur le fondement de l’article 276-3 du code civil.
Cet article précise en effet :
« La prestation compensatoire fixée sous forme de rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties.
La révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge. »
Enfin, pour être complet sur le sujet, rappelons la construction jurisprudentielle autour de la notion « d’escroquerie au jugement » qui permet de poursuivre au pénal cette fois la partie qui a produit des déclarations ou attestations mensongères afin de se voir octroyer une décision judiciaire qui lui est favorable.